Halte à l’obsolescence programmée (HOP) : une décennie d’un combat vital et l’urgence de continuer
Souffler ses dix bougies, mais tourner d’ores et déjà résolument le regard vers l’avenir et la prochaine décennie. C’était l’objectif d’un colloque de l’association Halte à l’obsolescence programmée, vendredi 6 juin. L’occasion de faire un point sur les victoires et les lenteurs de ce combat systémique, et sur la nécessité de le continuer en France et à l’international.
A l’occasion des dix ans du délit d'obsolescence programmée, introduit par la loi de transition énergétique pour la croissance verte, l’association Halte à l’obscolescence programmée (HOP), constituée parallèlement à ce combat originel, organisait, hier, vendredi 6 juin 2025, un colloque au Sénat, coorganisé par la sénatrice Ghislaine Senée, intitulé « Une décennie pour allonger la vie des produits. Et demain ? ». Cette journée faite de tables rondes, de prises de paroles d’experts, d’acteurs et d’élus, puis d’ateliers citoyens, a été l’occasion de faire un point sur les dix ans passés et sur ce qui reste à faire entre optimisme et enthousiasme chevillés au corps et l’humilité de rigueur face à ces travaux cyclopéens…
La sénatrice Ghislaine Senée, lors de l'ouverture du colloque de HOP au Sénat, le 6 juin 2025. © Pierre Fontaine / Les Numériques
Dix ans d’avancées et de combats …
« En 2015, la France aura été le premier pays au monde à reconnaître le délit d’obsolescence programmée », rappelle en introduction la sénatrice des Yvelines. « Un pas historique, et nous mesurons aujourd’hui l’impact qu’elle a eu sur les politiques ambitieuses notamment relative à la durée de vie des produits, mais également dans le développement de l’économie circulaire. »
Réaliste et combative, Laetitia Vasseur, cofondatrice et déléguée générale de l’association HOP remet en perspective cette avancée majeure : « des amis m’ont demandé à quoi allait servir ce délit. Ce à quoi j’ai répondu : ‘eh bien à rien…’», se souvient-elle, amusée. Parce que si ce progrès est essentiel, il n’a été qu’un premier pas. « Ayant été collaboratrice parlementaire, je sais aussi les limites de la loi et de l’application de la loi. S’il n’y a personne pour revendiquer l’application de cette loi, elle ne s’appliquera pas… », commente Laetitia Vasseur, pour expliquer, d’un même coup, la nécessité de créer l’association HOP, pour défendre les consommateurs et continuer à porter le combat. Et même plus que le porter, lui donner vie : « des lobbies que j’avais interviewés dans les auditions parlementaires me disaient : ‘mais vous savez, les consommateurs ne s’intéressent pas à la question de la durabilité, ils veulent des prix bas, et puis c’est tout’ », se rappelle la déléguée générale de HOP pour donner la mesure de l’état d’esprit d’alors.
En 2015, la France aura été le premier pays au monde à reconnaître le délit d’obsolescence programmée
Et la sénatrice de rappeler la « ténacité des membres de cette association qui n’ont jamais hésité à affronter lobbies et entreprises toutes puissantes pour les mettre face à leurs responsabilités sociétales et environnementales ». Car, HOP s’est effectivement attaquée, au travers de quatre plaintes, aux géants de la tech, comme Apple, Epson ou HP. Le premier ayant même été condamné à une amende de 25 millions d'euros d’amende.
Des effets de fond, une vision au long cours
Mais quatre procédures en dix ans, et aucun procès en définitive, cela peut paraître bien peu. C’est parce que ce combat est un combat juridique, au temps traditionnellement long, mais aussi une course de fond aux multiples facettes. « Le délit d’obsolescence programmée n’est que la partie émergée de l’iceberg », met en perspective Laetitia Vasseur, « derrière c’est finalement la pérennité programmée qu’on veut ». Ce qui explique la stratégie de changement sociétal et systémique de HOP, la création d’un magazine sur les produits durables, d’une journée nationale de la réparation, la participation aux groupes de travail sur les indices de réparabilité et de durabilité, la présence de l’association au sein du Conseil national de l’économie circulaire (CNEC), la création d’un comité scientifique pour donner plus de poids aux arguments de ses plaidoyers, etc.
Les experts invités par HOP et la sénatrice Ghislaine Senée lors du colloque : "Une décennie pour allonger la vie des produits. Et demain ?" © Pierre Fontaine / Les Numériques
La difficulté d’appliquer la loi
Et le combat pour une économie circulaire, durable, la lutte contre l’obsolescence programmée, se fait dans un contexte très « complexe », avec des « enjeux très techniques », précise Ambroise Pascal, délégué à la transition écologique à la DGCCRF, intervenant d’une des tables rondes. « Pour dresser un procès-verbal de délit d’obsolescence, il faut qu’il y ait un élément matériel et il faut qu’il y ait un élément intentionnel », continue-t-il, « et sur ces deux points on n’est finalement pas très loin de ce qui peut se faire de plus dur en matière de complexité de preuve ». Cela touche autant à l’analyse technique poussée d’un appareil qu’à des réflexions sur ce que devrait être la durée de vie normale d’un produit.
Mais, au-delà de ce travail de police, qui fait partie des attributions de la DGCCRF, se pose « la question des outils juridiques disponibles », approfondit Ambroise Pascal. « Le couteau suisse à la DGCCRF, c’est la pratique commerciale trompeuse. C’est un outil juridique qui permet de fonctionner avec des pratiques beaucoup plus diverses, avec peut-être un peu moins de contraintes en matière de preuves. Et c’est pourquoi certaines affaires liées à l’obsolescence programmée finissent par être traitées par ce moyen comme ça a été le cas pour la plainte contre Apple en 2018 », éclaire-t-il.
Le besoin de créer la loi
Au cours de la même table ronde, Jacques Fernique, sénateur du Bas-Rhin, avance que, pour faciliter la tâche de DGCCRF et de la justice, « l’inversion de la charge de preuve » pourrait être une solution. Ce serait alors au fabricant de prouver qu’il n’a pas réduit la durée de vie de son produit.
Pour prouver la difficulté à agir, dans une cadre légal encore à construire, Lise Breteau, avocate spécialisée dans l’écologie et la transition numérique, souligne qu’en matière d’obsolescence logicielle, « c’est que les législateurs ne se sont pas saisis du sujet. Le droit des mises à jour n’existe pas, c’est à droit à créer. » Un droit qui devra « distinguer suffisamment » les trois types de mises à jour logicielle (de sécurité, de correction de bogues ou évolutives) pour appliquer des régimes juridiques différents.
On a quasiment besoin de décupler les durées de mise à jour
Plus gênant, parfois, pour Lise Breteau, « le législateur passe aussi complètement à côté du vrai problème », notamment au travers de la directive européenne 2019-771, par ailleurs essentielle, qui dit, dans son considérant n°30, qu’un fabricant n’est pas obligé de fournir des mises à jour évolutive. Mais « le problème est que le fabricant impose des mises à jour évolutives, et non l'inverse », explique l’avocate. Ce qui mène à « des phénomènes comme l’obsolescence prématurée de 240 millions d’ordinateurs à cause du passage de Windows 10 à Windows 11. Ce qui est préoccupant autant pour l’environnement que pour la justice sociale », assène posément Lise Breteau. Avant de rappeler qu’il faut que le droit impose « une obligation de mises à jour beaucoup plus longue ». Limitées à deux ou cinq ans aujourd’hui, « on a quasiment besoin de décupler les durées de mise à jour » afin que les équipements fonctionnels ne deviennent pas obsolètes prématurément, au bout de seulement dix ans.
© Les Numériques
Le besoin d'un changement systémique, pour éviter « un monde sans nous »
David Cormand, député européen, participant à la table ronde « Mesurer l'impact, anatomie d'un changement sociétal », insiste sur l’importance des textes de loi, des directives européennes pour deux raisons. D’abord, « parce que ces batteries de texte envoient un signal déterminant y compris à l’économie et à l’industrie », ensuite parce qu’elles alignent tous les pays de l’Union européenne sur une même position. Or, « la force de l’Europe, c’est d’être le premier marché au monde », assure-t-il. C’est donc de ce poids qu’il faut jouer.
La directive Green claims, qui vise à « empêcher les sociétés de tenir des propos trompeurs sur les mérites environnementaux de leurs produits et services », est à ce titre essentielle. Pour le député européen, la publicité est « le troupeau d’éléphants chevauchés par des baleines » dans la pièce. C’est l’axe sur lequel il va falloir changer la donne, pour ralentir ou mettre un frein à l’économie consumériste traditionnelle, dite linéaire.
Cette aspiration à aimer les choses neuves vient surtout de la communication.
Ce que Jeanne Guien, docteure en philosophie, invitée de la table ronde intitulée « Vers l’économie circulaire : utopie ou réalité ? », appelle la « néophilie ». « Cette aspiration à aimer les choses neuves vient surtout de la communication », explique-t-elle. « Il n’y a pas que les supports publicitaires, il y a le packaging, le merchandising, il y a l’éducation également », précise-t-elle. « Mais on ne peut pas continuer à produire tous ces flux de discours irrégulés », affirme la chercheuse spécialiste du consumérisme, qui appelle à un changement de mentalité.
Parce que « la promotion de l’écologie, c’est au final parler de la place de l’Homme dans le monde. Et, si rien n’est fait, ce sera un monde sans nous », glisse Brice Huet, commissaire général et délégué interministériel au développement durable et invité, lui aussi, de la table ronde « Vers l’économie circulaire : utopie ou réalité ? ».
A court terme, sans changement de mentalité et du système, l’économie circulaire continuera à ne pas prendre d’ampleur, avec moins de dix pour cent des appareils réparés, elle continuera à ne pas remplir ses missions. Elle ne remplace pas l’économie linéaire, elle s’y ajoute, y compris avec les effets rebonds problématiques, qui peuvent servir d’excuse à la consommation, explique Flore Berlingen, cofondatrice de l’Observatoire du principe pollueur-payeur. Pour elle, l’économie circulaire doit évoluer, se détacher de son héritage et image liés à « son historique de gestion des déchets » et qui pousse à adopter de « mauvais indicateurs ».
© Pierre Fontaine / Les Numériques
De là une nécessité, mise en avant par de nombreux participants à ces tables rondes. Celle d’un pilotage du « changement systémique mieux conduit », pour le sénateur Jacques Fernique, notamment pour mieux faire connaître les solutions déjà déployées, comme le bonus à la réparation dont seulement 30% de l’enveloppe sont utilisés. Voire d’un changement systémique de fond, qui n’aura pas lieu sans le citoyen, sans chacun de nous. Pour Julie Madon, docteure en sociologie et auteure de l’essai Faire durer les objets, « les discours publics sur le minimalisme ou la sobriété » sont un premier pas important, ils « équipent les consommateurs de ressources discursives pour légitimer les combats », et réduire les freins au changement, comme les normes sociales. Mais il faut aller plus loin.
Il y a dix ans, il aurait été impossible de discuter de sobriété, de baisse de la consommation.
De grands chantiers, de grands enjeux, « le programme pour les dix prochaines années », s’amuse enthousiaste Laetitia Vasseur, qui prépare déjà la suite. Avec une étude exhaustive à sortir à la fin du mois sur les incitations à la consommation, et un grand projet de constituer une alliance internationale avec les associations et acteurs européens qui le souhaitent pour mieux porter le combat et faire entendre la voie de la pérennité programmée.
Et face au travail titanesque qui attend HOP et chacun de nous, Laetitia Vasseur tient à rappeler une réalité. « Il y a dix ans, il aurait été impossible de discuter de sobriété, de baisse de la consommation », conclut-elle. « On ne changera pas tout, mais on trace une trajectoire. Petit à petit, sans rien lâcher, et ça fait la différence. » Avec l’intérêt général en tête et patience et détermination, HOP avance, à petits bonds.
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